Il est des étrangers au Japon qui deviennent « tatamisés », plus japonais que les japonais eux même, et qui ne sont pas toujours bien perçus. Analyse sur un phénomène et ses conséquences.
Combien rêvent de partir vivre au Japon, de s’installer définitivement sur place, de se marier au Japon et d’épouser le mode de vie local? On ne les compte plus tellement ils sont nombreux. Et pour certains, le but ultime serait de maitriser la culture locale pleinement pour devenir japonais. C’est un rêve, un but, une envie, … Mais c’est aussi un fantasme qui peut avoir de fâcheuses conséquences.
Devenir japonais, c’est possible et impossible
Avant d’aller plus loin dans les explications, il faut faire une distinction très importante. Il y a deux « formes » de japonais: la nationalité et l’ethnicité. La première concerne l’aspect administratif de la chose tandis que la deuxième concerne l’aspect physique et « biologique ». Une fois cette distinction faite, il est plus facile de comprendre la suite des choses.
Quand certains individus disent « je veux devenir japonais », il y a souvent deux catégories de personnes:
– ceux qui veulent obtenir la nationalité japonaise
– ceux qui veulent faire partie de l’ethnie japonaise
Pour ce qui est de la nationalité japonaise, il est possible de l’obtenir (voir les conditions ici) en ayant vécu 5 années d’affilées au Japon, en ayant les ressources financières pour faire face à ses besoins et de ceux des personnes qui dépendent de vous, avoir plus de 20 ans et enfin en abandonnant votre (ou vos) nationalité d’origine. Alors, d’un point de vue purement administratif, il est possible de devenir japonais.
Par contre, d’un point de vue ethnique, soyons clair de suite, ceci est complètement impossible. Vous ne serez jamais un japonais. D’une parce que votre physique n’est pas du tout le même, mais aussi parce que vos origines ne sont pas les mêmes. Ce serait la même chose que de vouloir devenir « blanc » pour une personne « noire » (à moins de faire du Mickaël Jackson, et là encore ce n’était pas très réussi). D’ailleurs, l’excellente vidéo de Rachel (en anglais) traite bien ces deux aspects:
httpss://www.youtube.com/watch?v=2D0RwGA05uk
Aux deux catégories que je cite plus haut, je voudrais ajouter l’aspect « devenir japonais » culturellement parlant, et c’est là que va apparaître la notion d’ « étrangers tatamisés ».
Les tatamisés du Japon
Les japonais ont tendance à appeler les étrangers voulant leur ressembler (voulant devenir plus japonais que les japonais), prenant leurs habitudes et épousant leur mode de vie au quotidien, les tatamisés. Et ceci n’est pas une notion positive puisqu’elle cherche à pointer du doigt des comportements jugés « anormaux » par les autochtones. Un tatamisé au Japon ne rassure pas les locaux, il leurs fait « peur », les intriguent et les repoussent plus qu’il ne les attirent.
En général, les japonais pensent que les étrangers ne sont que de passage dans leur pays, soit pour un voyage de courte durée soit pour une vie d’expatrié sur du moyen terme, et qu’à la longue ils finiront par rentrer chez eux. C’est pour cela que les étrangers qui restent indéfiniment, tout en prenant (du moins en essayant) l’ensemble des habitudes locales font « peur » et deviennent des individus « inidentifiables », des sortes d’O.V.N.I. dans le paysage local.
Au Japon, la société est structurée sur des cercles d’appartenances et il faut absolument que chaque individu soit dans un cercle clairement identifiable afin d’avoir une vie sociale et ne pas être exclu de la société japonaise. Pour les étrangers au Japon, c’est assez simple puisque nous sommes tous dans le même cercle, qui est celui des « Gaijin ou Gaikokujin ». C’est « notre place », celle que nous prenons en arrivant et que nous nous devons de garder, en théorie. Et puis, viennent les tatamisés, ceux qui prennent l’ensemble des habitudes locales et qui veulent devenir « plus japonais que les japonais ».
Pour eux, la vie va devenir plus difficile puisqu’en imitant le mode de vie à la japonaise, en abandonnant leur mode de vie et culture d’origine, ils sont exclus du cercle des « Gaijin ». Mais, en plus de cela, ils ne sont pas intégrés pour autant au cercle des « japonais » car d’un point de vue ethnique ils n’en font pas parti. Et c’est là que le bât blesse, parce que ces tatamisés ne feront plus partis de leur cercle d’origine, mais ne seront pas intégré dans un autre cercle pour autant. Ils se retrouveront donc hors de la société, totalement exclus.
Pourquoi vous ne devriez pas devenir tatamisé
Comme vous pouvez le comprendre en lisant le paragraphe précédent, devenir tatamisé peut correspondre à un « suicide social », et étant donné que la société au Japon tient un rôle important, cela pourrait être pénible à vivre pour les personnes concernées. C’est la première raison qui fait que vous ne devriez jamais chercher à être un tatamisé.
La deuxième serait le rejet de vos origines. Il serait dommageable de rejeter vulgairement ses origines, ses cultures de bases au plaisir d’en prendre des nouvelles. Ceci reviendrait à refouler ses racines et ce n’est jamais vraiment bon en soit, tout simplement parce que les racines sont tellement bien ancrées en nous que vouloir les rejeter va créer un conflit intérieur fort qui pourrait être préjudiciable à la longue.
La troisième raison est la tendance forte qu’ont les japonais à tourner au ridicule les « tatamisés ». On ne compte plus le nombre d’émissions TV où les japonais montrent des vidéos d’étrangers « jouant au japonais » et où l’on voit les japonais sur un plateau télé « se fendre la poire » en les regardant. D’ailleurs, il y a peu, la télé japonaise montrait des images de la Japan Expo avec des français en cosplay et ils ont été la risée des spectateurs japonais présent sur le plateau.
Quelques fois, vous pourrez entendre un japonais dire d’un étranger « qu’il est plus japonais qu’un japonais » de manière poli. Mais c’est tout ce que c’est, une simple formule de politesse qui n’est pas réellement pensée, parce que, quoi qu’il en soit ceci est impossible. Il est impossible que quelqu’un d’une autre culture devienne « meilleur » qu’un autre dans sa propre culture, les racines étant différentes. Ceci rejoint en partie le contenu de mon article « les étrangers peuvent-ils comprendre le Japon« .
Les étrangers tatamisés sont en général facilement reconnaissables puisque c’est ceux qui affirmeront connaître le Japon sur le bout des doigts, le maitriser parfaitement, en connaitre tous ses aspects. Ce sera souvent ceux que l’on voit sur Internet, à commenter des articles ou forums avec des formules du genre « Je vis au Japon depuis 20 ans et je le connais parfaitement », avec toujours cette volonté farouche d’afficher le nombre d’années de vie sur place comme un gage de confiance ou un certificat de connaissance du Japon, jouant parfois sur ce chiffre comme pour dire « j’ai la plus grosse » connaissance sur le Japon, plus importante encore que celle des japonais. Leur but n’étant pas d’argumenter sur un sujet mais plutôt de dire « je connais mieux le Japon que tout le monde parce que j’y ai vécu longtemps, plus d’années que vous » et d’essayer de crédibiliser cette connaissance avec un chiffre (celui du nombre d’années vécues sur place), comme si la connaissance du pays était proportionnelle à la durée de vie sur place. Ils sont dans cet effet de « tatamisation » qui leur fait croire qu’ils maitrisent parfois tous les sujets mieux que quiconque, mieux que les japonais eux-même.
Ici, j’aimerais vous citer la phrase extraite de l’excellent livre de Richard Collasse « La Trace » qui explique pourquoi vous ne devriez pas chercher à être japonais, culturellement parlant, pourquoi vous ne devriez pas chercher à être un tatamisé (citation d’une japonaise):
« Vous finiriez par perdre votre identité, ballotté entre votre culture, que vous rejetteriez et qui ne tarderait pas à vous expulser, et la nôtre [japonaise] que vous n’assimilerez jamais complètement et ne vous acceptera jamais vraiment non plus. » La Trace, Richard Collasse
On peut vivre au Japon sans être japonais
Alors oui, on ne peut pas devenir japonais, sauf administrativement, en obtenant la nationalité, mais cela n’empêche pas les étrangers de vivre au Japon et de profiter au mieux de leur vie sur place. Il suffit de savoir garder sa culture, ses racines, son état d’esprit tout en s’adaptant au mode de vie local sans chercher à vouloir le maitriser à 100%, sans chercher à vouloir être japonais à tout prix.
Il existe des milliers de cas d’étrangers vivant au Japon avec des conditions de vie qui leurs conviennent au mieux et qui sont totalement épanouis par ici. Il suffit simplement de rester soit, de rester humble, de ne pas trop en faire et de respecter les autochtones, ne pas vouloir imposer son mode de vie. Travailler au Japon, y fonder un foyer, y avoir sa maison, … c’est possible et accessible à tous ceux qui le veulent et s’en donnent les moyens. Et je trouve que l’exemple de Richard Collasse (PDG de Chanel Japon), qui vit au pays du soleil levant depuis 40 ans, en est une parfaite illustration. Entre humilité, volonté de ne pas être tatamisé (cf son interview par ici) et volonté d’apprendre et de respecter la culture locale, il a réussit à faire sa vie dans ce pays si unique en son genre. Ils sont nombreux à réussir leur vie au Japon, et il y a même des français dans ce cas, comme vous pouvez le voir dans ce reportage de TF1 « les français fous du Japon »
httpss://www.youtube.com/watch?v=Nxom06lVxfE
Alors, devenir japonais, c’est impossible en soit, à moins de vouloir devenir un étranger tatamisé au Japon, au risque de perdre gros dans l’affaire. Restez vous même et profitez de ce que ce pays a à vous offrir sans aucune prise de tête.